En ouvrant un magazine féminin quelconque cet été, on avait de fortes chances de tomber sur une double page vantant la marque Chanel et illustrée d’une magnifique photo d’une jeune femme aux doigts tatoués. Chanel, doigts tatoués, les deux pourraient paraître antinomiques, et pourtant…
C’est un fait, et cela fait un certain temps, les tatouages ont envahi l’espace publicitaire. La conquête a été progressive, d’abord les podiums des défilés de mode, puis les pubs pour parfums, univers artistique et/ou rebelle exige, et maintenant, quelques pubs télé ou pour des produits de domaines plus standards.
Dans le même temps, la façon d’envisager le tatouage a évolué, d’une pseudo attitude subversive à une démarche de différenciation, de plus en plus proche d’une vraie démarche de tatouage.
Le tatouage et la mode
Comme souvent, c’est par le chantre de la rebellitude, Jean-Paul Gaultier, que la brèche a été ouverte : en 1992, il fait défiler le mannequin Ève Salvail, arborant un tatouage de dragon sur le crâne.
A l’époque, c’était très nouveau et ça a été salué comme tel (lançant au passage le mannequin dans la cour des grandes), au même titre que les autres initiatives originales du créateur de mode. Le tatouage comme élément de différenciation et d’originalité dans un univers marchand : le thème était lancé.
Le tatouage comme élément subversif et artistique
C’est dans l’univers des parfums, proche de celui de la mode, que le tatouage s’est imposé le plus simplement. Entre identités artistiques et mises en scènes oniriques, il était facile d’insuffler un brin d’authenticité ou de s’offrir une image de rebelle en ajoutant un peu de (fausse) encre.
Les marques de parfum ou de mode qui ciblent les jeunes y sont toutes passées à un moment ou à un autre, le thème du produit « qui colle à la peau » étant plutôt facile à travailler, entre addiction et adéquation entre la marque et ses consommateurs.
Les exemples sont nombreux mais plutôt semblables : le tatouage est ici un élément graphique au service du visuel, il s’agit d’enrichir la publicité plutôt que de s’inscrire réellement dans le monde du tattoo. Les différentes publicités se partagent donc entre démarches relativement artistiques (Amor Amor) et subversion à moindre coût (Diesel Only The Brave) sans aller plus loin.
Le tatouage comme reflet des évolutions sociales
Plus récemment, on a vu apparaître des tatouages dans des publicités pour des produits dont la proximité avec l’univers du tatouage est moins évidente.
Ce film pour la nouvelle Twingo est une des premières incursions du tatouage dans une pub télé, pour un produit de grande consommation, la voiture. L’ensemble de la campagne met en scène des situations parent/enfant où la conduite du parent n’est pas aussi traditionnelle qu’on pourrait l’attendre, pour illustrer la dimension « bien dans son temps » de la petite voiture dont il est question. Dans cette vidéo, le tatouage n’est pas un accessoire, mais bien le sujet même de la publicité. En quelques phrases échangées, on touche à deux thématiques fortes du tatouage : le relatif interdit parental et le choix du tatoueur, le tout mis au service de la complicité mère/fille. C’est une façon pour Twingo d’inscrire son produit au cœur de la société actuelle, avec l’évolution du regard qui est porté sur le tatouage et les tatoués.
Le tatouage comme argument de vente
Le personnage de Zombie Boy a plusieurs fois été utilisé par les marques, de Lady Gaga à Mugler. Il faut dire que le personnage et sa démarche sont assez frappants pour imprimer durablement les esprits, à défaut des peaux… La marque Dermablend (de l’Oréal) a choisi de prendre le parti inverse, au service d’une démonstration produit : plutôt que montrer ces tatouages qui commençaient déjà à être connus, il s’agit donc de les cacher.
La transformation est incroyable, ce qui rend le film et son making of bluffants, comme le confirment les 16 millions de vues. Le tatouage comme argument de vente, grande première !
Retour aux sources : le tatouage comme signature
La nouveauté de la pub Chanel, c’est d’abord qu’on sait que ces tatouages sont authentiques, puisqu’il s’agit de ceux de Alice Dellal it-girl anglaise de 26 ans. Ces tattoos font partie de sa signature, et c’est à ce titre qu’ils apparaissent sur ces visuels, afin de la rendre reconnaissable aux yeux de ceux qui la connaissent déjà. La nouveauté tient aussi dans le rendu de l’image et du choix de la mise en scène : contrairement aux ambiances « destroy » auxquelles on associe souvent les tatouages dans la publicité, on est là dans une atmosphère cosy, quasiment studieuse. Certains visuels ne dévoilent pas les tatouages, mais sur les autres, ils sont très visibles, puisque placés au centre de l’image. Comme le reste de la personne de l’égérie, ils ont été choisis pour incarner la marque durant cette campagne, et à ce titre, ils sont assumés par Chanel, mais ils ne servent ici ni de caution à une image rebelle, ni de sujet à la campagne. Ils ne sont pas le sujet de la publicité, ils font simplement partie du tableau, et permettent d’identifier l’égérie.
Plus que le tatouage, c’est d’abord le tatoueur qui est mis en scène. Il s’agit d’un partenariat entre une artiste et une marque, revendiqué par Peugeot. La démarque du tatouage, ses outils, ses phases, sont montrées et expliquées. Le résultat en lui-même est montré, mais c’est le processus qui est la finalité de ce film, et qui fait la fierté de la marque. La voiture qui est produite ici est unique, et c’est le tatouage qui lui donne cette unicité.
Dans ces deux derniers cas, le tatouage revient à une de ses missions premières : la signature, l’identification, la marque d’une unicité. De caution rebelle facilement construite, on en revient au « vrai » tatouage : celui qui permet de différencier à tout jamais un corps d’un autre.
Et vous, que pensez-vous de ces collaborations entre des marques et des artistes tatoueurs, et de la visibilité plus grande accordée au tatouage ?