Flow (alias Rorshach), chanteur de 6:33, et Romain de Hand In Glove nous racontent comment cette pièce imposante a vu le jour…
inKin : Racontez-nous comment ce projet a commencé…
Flow : C’est une idée que j’avais depuis super longtemps, 4 ou 5 ans. Je l’ai fait en 2005, ça fait une dizaine d’années. J’avais le dessin, une idée du masque que je voulais depuis un petit moment, mais vu que je voulais le faire dans tout le dos, il me fallait le budget, et comme je venais d’arriver sur Paris, j’attendais un peu de trouver le mec avec qui ça allait matcher. Je ne me balade pas spécialement dans les salons de tattoo, mais je rencontre des gars qui me plaisent bien et après je vais voir ce qu’ils font. J’ai rencontré Romain…
Romain : On s’était rencontrés par la musique.
F : C’est ça, on s’est rencontrés parce qu’on a partagé une scène.
R : Tu jouais dans un groupe avec un pote à moi, mon colloc.
F : Raph, de Kickback, on jouait dans Divine. Et toi, tu jouais dans Onesta. On s’est rencontrés sur une scène de hardcore, on s’est bien entendus, et je suis allé voir son travail. Ce qu’il faisait m’a bien plu, donc on en a parlé ensemble. Je me souviens que c’était sa première grosse pièce, du coup ça l’a botté, on s’est bien marrés à le faire.
R : Il y avait un dragon à recouvrir en plus…
F : C’est vrai, j’avais un petit dragon à recouvrir, tu t’en souviens ! (rires) J’avais un dragon sur l’omoplate, donc il fallait faire le cover en plus du travail dans tout le dos.
I : Donc Romain, tu te souviens de ce projet ?
R : Oui, je m’en rappelle, j’ai une très bonne mémoire. Je ne me souviens pas forcément des prénoms ou de tous mes clients, mais un tattoo que j’ai fait, je m’en rappelle.
I : Tu tatouais depuis combien de temps ?
R : J’ai commencé en 2003, ça faisait 2 ans que je tatouais. J’avais dû faire un ou deux dos à l’époque. Je tatouais à Paris dans le 9e, chez Tin-Tin Tatouage.
I : Comment est-ce que vous avez construit le tattoo ?
F : J’avais des photos de masques balinais, représentant des divinités balinaises. J’avais envie de les modifier pour en faire un truc à ma sauce, pour en faire une divinité à moi. J’avais quelques dessins, ces quelques modèles, et on a décidé ensemble de ce qu’on allait faire. On a rajouté des cheveux, un troisième œil, on a retiré la mandibule parce que je ne voulais pas qu’il parle.
R : A la base, comme il n’a pas de mâchoire inférieure, on voulait aussi faire le bas, en faisant descendre des flammes sur le bas du dos.
F : Mais ça c’était à voir plus tard, et pour l’instant, on l’a pas encore fait : sur les fesses, ça fait mal (rires) ! On a aussi fait d’autres pièces, ça a été des masques à chaque fois, souvent à partir de vrais masques.
I : Qu’est ce que représentent les masques pour toi ?
F : C’est une longue histoire… Pour ce tatouage-là, c’est la représentation que je me fais de Dieu, mais c’est personnel, vraiment. Après, il y a plein de significations pour les masques: j’en mets sur scène avec mes groupes, je pense que finalement tout le monde en porte mais que personne ne l’assume, il y a aussi le fait que les civilisations primitives qui m’inspirent et qui m’intéressent en mettaient pour symboliser les choses qui les dépassaient… Il y a beaucoup de connotations autour des masques qui me paraissent intéressantes.
R : Pour ce projet-là, Flow avait des photos de masques, j’en avais aussi, donc on a travaillé là-dessus, on a fait un mix. On a mis des cheveux parce qu’il y avait le cover, justement, donc c’était plus pratique.
F : J’avais envie qu’il ait des petites touffes de cheveux, c’était inspiré du jeu vidéo Tekken, ça parlera à ceux qui sont assez vieux pour s’en rappeler (rires). On est parti de mon idée de masque, et on a travaillé ensemble avec Romain.
R : On a fait le dessin le matin, et on a attaqué le tattoo dans l’après-midi.
I : Le tatouage a pris combien de séances ?
F : Je m’en rappelle très bien : on a fait 7 séances de 3 ou 4 heures. Ça dépendait de la douleur et des endroits.
R : On a peut-être fait des séances plus courtes parfois, il doit y avoir 25 heures en tout.
F : Il y a 27 heures de taf.
R : Voilà (rires). On a étalé les séances sur… 7 mois ?
F : Oui, à peu près. Il y a eu des périodes de creux parce que je n’étais pas disponible ou que je n’avais pas les thunes.
I : Combien ça t’a coûté en tout ?
F : Je m’en souviens parfaitement bien : 27 heures de travail, 2700€. Il m’avait fait un petit tarif à l’époque, vu que c’était une grosse pièce… Mais ça m’a marqué, 27 heures et 2700 balles.
I : Côté douleur, ça a donné quoi ?
F : A la base sur le dessin, il y avait des écarteurs sur les oreilles du masque, décorés de signes mayas avec plein de détails… Et quand Romain a commencé à piquer à ce niveau-là, je lui ai dit « On va oublier les écarteurs, c’est pas la peine laisse tomber, on va laisser les lobes simples » (rires). Ce n’était pas seulement la douleur, je suis très chatouilleux et je n’arrivais pas à ne pas bouger, donc tout ça ensemble, ça n’était pas possible à supporter. D’ailleurs c’est pour ça que je ne me suis jamais fait tatouer les côtes, je pense que je suis trop douillet ! Ce qui m’a fait le plus mal, c’est les aplats de noir pour les cheveux, il y a eu quelques moments où ça bourrinait… Au bout d’un moment, quand tu repasses plusieurs fois dessus, la peau finit par brûler. Je suis très volubile, Romain me connaît bien, il sait que quand je commence à avoir vraiment mal, je ne parle plus. Mais à l’époque, je n’avais pas aussi mal que ce que j’aurais à endurer aujourd’hui pour la même chose. Je me rends compte qu’en vieillissant, la douleur n’est pas la même. J’en ai déjà parlé avec Romain, au moment des autres tatouages qu’on a fait ensemble, parce que je n’encaissais pas la douleur de la même façon. J’en ai plus rapidement assez, au bout d’un moment c’est vraiment difficile. Alors qu’avant c’était différent, je gérais ma respiration et j’encaissais mieux. Le plus chiant, c’est pas la douleur, c’est la lassitude. Au bout de 3 heures, c’est lassant. A l’époque, j’ai pu tenir 4 heures, aujourd’hui au bout de 2 heures et demi ou 3 heures, j’en ai marre.
R : Quand tu fais une grosse pièce, il y a aussi le fait que tu as déjà toute une partie qui a été tatouée, qui est un peu à vif, et tu essuies, tu fais une pause, tu réattaques après quand ça a refroidi… et puis on se fait vieux.
F : C’est clair, plus tu vieillis, plus ça te soule vite. Quand j’avais 18 ans, c’était pas la même !
R : La manière de tatouer joue aussi, en fonction des machines, de la technique… Tout dépend comment tu piques. Je sais que je ne suis pas un violent, mais bon de toute façon le but, c’est d’avoir un beau tattoo à la fin. Quand on tatoue, on est conscient de toute façon qu’on va faire mal à la personne. Quand on commence à tatouer, on a cette appréhension-là. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche : il faut que l’encre rentre, il faut que ça passe, il faut que le tattoo soit bien. Tu ne peux pas t’y prendre en 15 fois, donc il faut y aller. Ça dépend des personnes aussi, j’ai un gars que j’ai tatoué sur les bras, les jambes, la tête… et il encaisse. Je crois que les filles tiennent mieux la douleur, notamment.
F : Il faut le mériter, il faut douiller, c’est comme ça (rires) ! C’est un peu le principe de base du tattoo, ça fait partie du processus et je pense que c’est important : tu dois gérer la douleur, en contrôlant ta respiration par exemple, c’est le côté primitif du truc. Ce n’est pas une douleur subie, vu que tu l’as choisie en demandant ton tatouage, psychologiquement ça doit être différent dans la façon dont ça se passe dans le cerveau.
I : Est-ce que vous avez fait d’autres tatouages ensemble ?
F : On a fait tout le bras aussi, toujours sur le thème des masques : une tête de mort tibétaine, un masque du théâtre kabuki, un Hannya et un masque dont on n’a jamais trouvé l’origine. C’est Romain qui l’a trouvé.
R : J’ai plein de documents sur le théâtre japonais, on ne savait pas exactement ce qu’il représentait mais il avait une bonne gueule. C’est aussi ça le tattoo, c’est l’esthétique.
F : Ce masque rentrait nickel, il était parfait avec les autres, et au final j’aimais bien l’idée de ne pas savoir ce que c’était exactement.
I : Est-ce que vous avez d’autres projets prévus ?
F : Pour l’instant, pas particulièrement parce que j’ai fini pas mal de pièces que je voulais faire. Et puis Romain est très occupé, il est de plus en plus pris (rires). Ce n’est pas impossible du tout qu’on reparte un jour sur un nouveau projet, mais je ne suis qu’intermittent du spectacle, il y a un moment où ce n’est pas possible parce que financièrement, ça ne paie pas assez ! Mais par contre, je donne son nom à chaque fois qu’on me demande où aller se faire tatouer. Pour moi c’est un des bons tatoueurs actuels, une bonne référence du tattoo parisien. Après une quinzaine de séances passées chez lui tout l’après-midi, on finit par tisser des liens, c’est quelqu’un que j’apprécie artistiquement et humainement.
R : Ça fait plaisir d’entendre ça, pour moi Flow est un pote, ce n’est plus un client. Ça fait 10 ans qu’on se connaît… Après, ce n’est pas comme ça avec tous les clients. Les affinités, tu ne peux pas les inventer ou les forcer, ça dépend des gens. C’est toujours cool quand quelqu’un vient me voir pour un tatouage parce qu’il veut que ce soit moi qui le fasse, mais au final, ça ne change pas ma façon de travailler.
F : Le tatouage devient une partie de ton identité, c’est important pour moi d’avoir un bon feeling avec la personne qui te l’a fait. Quand je suis sur scène, je finis souvent torse nu, et les gens retiennent deux choses : le masque que je porte, et celui que j’ai dans le dos. On me demande tout le temps où je l’ai fait, ça fait partie de ce que les gens retiennent de moi.
R : Chaque tattoo c’est une carte de visite, donc on le fait de notre mieux.
F : Au final, ça ne se joue à rien : si je n’avais pas eu ce groupe, dans lequel je n’ai été que 8 mois, je n’aurais pas fait cette date, et on ne se serait pas rencontrés. Je me serais fait piquer par un autre, le dessin aurait été différent…
R : Ça ne veut pas dire qu’il ne t’aurait pas plu…
F : Non c’est sûr, mais c’est juste que ça n’a pas tenu à grand-chose. Le principal, c’est d’être content de son tatouage, et que le tatoueur soit content de son boulot.
R : C’est super important que la personne soit contente de son tatouage. Parfois, tu fais une pure pièce, et le mec se regarde dans la classe et dit « OK merci ». C’est un peu frustrant (rires) ! Et parfois, tu fais un tattoo qui ne te plait pas plus que ça, il n’est pas nul, mais ce n’est pas forcément ton truc… mais le mec est super content, et ça fait vachement plaisir. C’est vraiment important.
Pour passer sous les aiguilles expertes de Romain : la fiche du salon Hand In Glove sur inKin et le site du shop.
L’album de 6:33 venant de sortir, on vous laisse en compagnie de cette adorable petite “Black Widow”.